Vincent Rodriguez

La Pookie a vaincu la poucave

Kyo Jino reprochait à Aya Nakamura d’avoir repris dans son clip Pookie, plusieurs tenues qu’il lui avait proposées.

Tribunal judiciaire de Paris, 3ème ch., 15 janv. 2021, n° 19/07796
Publié dans PIALUMNI, Newsletter n° 4 avril 2021

La sortie du nouvel album « DNK » d’Aya Nakamura est l’occasion de revenir sur le jugement du Tribunal judiciaire de Paris rendu il y a deux ans concernant les vêtements arborés par la chanteuse dans son clip « Pookie ».

Kyo Jino reprochait à Aya Nakamura d’avoir repris dans son clip Pookie, plusieurs tenues qu’il lui avait proposées dans un moodboard (planche de tendances) et à l’occasion d’un shooting.

Une mise en demeure de payer la somme de 50.000 euros, en réparation de son préjudice, avait été adressée à la chanteuse, via la société de production du clip WARNER MUSIC France, qui, l’on s’en doute, n’accéda pas à sa demande. Face à ce refus, le styliste n’eût d’autre choix que d’assigner Aya Nakamura devant le Tribunal judiciaire de Paris.

Ainsi que le souligne à juste titre le Tribunal, le styliste a, ab initio, choisi de fonder sa demande sur le parasitisme et non sur la contrefaçon. Sans doute avait-il déjà constaté que les tenues qu’il avait proposées, et celles qui avaient été in fine utilisées, présentaient des différences de nature à écarter toute action en contrefaçon.

Le Tribunal revient successivement sur les conditions propres à caractériser l’agissement parasitaire (1.) et sur les conséquences sur l’image et la publicité de la personne accusée à tort de s’être livrée à un tel comportement (2.).


1. La nécessaire appropriation illicite d’une valeur économique

Pour rejeter la demande formée par le styliste, le Tribunal judiciaire de Paris rappelle, au visa de l’article 1240 du Code civil, que le parasitisme est constitué par des « agissements visant à s’approprier de façon injustifiée et sans contrepartie une valeur économique résultant d’un savoir-faire, de travaux ou d’investissements ». Il s’agit d’une définition classique du parasitisme, depuis longtemps retenue par la jurisprudence en des termes similaires[1].

Le comportement parasitaire suppose donc :

  • d’une part, que la victime ait fourni une valeur économique ou des investissements particuliers appropriable par un tiers ;
  • d’autre part, que ce tiers se soit approprié cette valeur ou ces investissements, pour son propre compte, sans autorisation et sans rémunération. Est ainsi sanctionné en jurisprudence le profit effectué à partir du travail d’autrui[2] ou l’absence d’efforts de l’auteur du parasitisme qui n’a ni investi ni pris de risques[3].

Le styliste avançait plusieurs éléments pour justifier de la reprise des tenues proposées à Aya Nakamura.

D’abord, au titre des investissements, il considérait que les tenues du moodboard transmis à l’artiste, ainsi que celles de la séance photo, avaient fait l’objet d’un travail de sélection important, « parmi les milliers de références possibles en termes d’habillement ».

Il affirmait par ailleurs que les tenues in fine retenues traduisaient selon lui « un changement radical […] se démarquant de celles qu’[Aya Nakamura] portait habituellement lors de ses prestations musicales – pantalons en jean, tee-shirt près du corps, robes moulantes courtes ».

Ensuite, au titre de la reprise de ces investissements, Kyo Jino tentait de mettre en avant, par un jeu de comparaison entre les tenues proposées et les tenues portées par la chanteuse dans son clip, l’existence de ressemblances qui témoignait de l’appropriation frauduleuse du travail qu’il avait fourni.

Le Tribunal ne va pas suivre l’argumentaire du styliste et va considérer, en appréciant in concreto les caractéristiques des tenues, que s’il existe un « univers commun » entre elles, elles présentent des différences avérées qui permettent de balayer les prétendus actes parasitaires auxquels se serait livrée Aya Nakamura.

Celle-ci est donc libre de s’inspirer du travail d’autrui, pour son propre compte, dès lors qu’elle le retravaille, le remodèle, l’imprègne de sa personnalité et de ses propres efforts.

Et c’était précisément le cas ici puisque le Tribunal va minutieusement relever que les tenues utilisées dans le clip sont substantiellement différentes de celles qui avaient été proposées par le demandeur.

En outre, les juges du fond estiment que le styliste ne justifie pas des circonstances financières qui avaient entouré la transmission du moodboard et de la séance photo, alors précisément que le paiement d’une somme d’argent, constitutive d’une contrepartie, aurait affaibli d’autant les allégations de parasitisme.

Finalement, le Tribunal judiciaire de Paris, régulièrement confronté à ces problématiques, fait une application classique des règles régissant les comportements parasitaires et requiert du demandeur, qui se prétend victime de tels actes, qu’il apporte non seulement la preuve de ses investissements, mais également celle de la matérialité du parasitisme allégué.

Et s’il n’est pas certain de pouvoir apporter ces preuves, mieux vaut qu’il s’abstienne d’accuser publiquement le tiers d’avoir « copié » son travail…


2. Sur l’atteinte à l’image et à la réputation

Aya Nakamura a obtenu la réparation du préjudice résultant de l’atteinte à son image et à sa réputation.

Le Tribunal rejette en revanche le surplus de ses demandes reconventionnelles, au motif, d’une part, qu’il n’a pas été justifié de préjudices distincts de celui sanctionné, résultant de l’atteinte à l’image et à la réputation, et que le styliste a pu « légitimement se méprendre sur la détermination des faits susceptibles selon lui d’engager la responsabilité civile de la chanteuse ». D’autre part, s’agissant de la demande reconventionnelle fondée sur le parasitisme formée par la chanteuse, le Tribunal considère que le comportement du styliste exclut qu’ « il ait entendu tirer un quelconque profit en lien avec la notoriété » d’Aya Nakamura par l’engagement de la procédure.

Par ailleurs, aucune mesure de publication n’a été ordonnée dès lors que le Tribunal a considéré que « les circonstances de la présente espèce » ne le justifiaient pas.

C’est donc sur le fondement de l’article 1240 du Code civil que le Tribunal a condamné Kyo Jino à payer à Aya Nakamura la somme de 5.000 euros en indemnisation de son préjudice moral, au motif que la publicité de cette affaire « sans justification » par le styliste, a caractérisé une intention manifeste de nuire et a nécessairement causé un préjudice à la chanteuse en termes d’image et de réputation.

Cette publicité, telle qu’elle a été rappelée par le Tribunal, a été la suivante :

  • Le 10 avril 2019, le stylise a publié sur son compte Instagram un message aux termes duquel il a accusé la chanteuse d’avoir « volé le moodboard (…) pour le filer à [son] équipe », en vue de le réexploiter sur son « dernier clip POOKIE » et ainsi d’avoir « volé sa créativité ».
  • Ce message a été republié par d’autres instagrameurs.
  • Des articles de presse écrite ont évoqué cette affaire, notamment dans le quotidien 20 Minutes, publié le 11 avril 2019, qui a mentionné l’accusation d’Aya Nakamura par un styliste d’avoir volé ses créations dans son clip. Également, le site internet de BFM TV a repris les mêmes termes le même jour dans sa rubrique people. Ou encore le quotidien Le Figaro du 13 avril 2019 qui a fait état des accusations de « plagiat » pour le clip Pookie tourné à Fontainebleau.
  • Le 30 avril 2019, une lettre de mise en demeure était adressée par Kyo Jino au directeur de la maison de production WARNER MUSIC France.
  • La publicité conséquente s’est poursuivie entre les 19 et 23 juin 2019, résultant d’articles de presses publiés dans L’Express, Le Parisien, 24 Matins, Le Figaro, Paris Match et Pure People, qui mentionnaient tous l’assignation délivrée à la chanteuse, à la requête d’un styliste pour « parasitisme », « copie de modèles de vêtements » ou « plagiat vestimentaire ».


L’article 1240 du Code civil pose le principe de la responsabilité civile du fait personnel selon lequel « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Autrement dit, lorsque la faute, intentionnelle ou non, d’une personne cause un préjudice à un tiers, le responsable doit indemniser la victime.

Mais qu’est-ce que la faute ? L’attitude d’une personne qui, par négligence, imprudence ou malveillance, manque à son devoir de ne causer aucun dommage à autrui[4].

En l’espèce, le Tribunal a jugé que la publicité de cette affaire, « sans justification » par le styliste, a caractérisé une intention manifeste de nuire et a nécessairement causé un préjudice à la chanteuse en termes d’image et de réputation.

La publicité sans justification et l’intention de nuire ont été constitutives de la faute commise par le styliste, qui a été la cause directe du dommage moral qui en a résulté pour la chanteuse, à savoir l’atteinte à son image et à sa réputation, évalué à hauteur de 5.000 euros par le Tribunal (contre 50.000 euros demandés).

Une question se pose alors : comment évaluer le préjudice d’image et de réputation ?

Pour une entreprise, plusieurs méthodes de détermination du préjudice d’image sont envisageables : tenir compte des investissements humains et financiers qu’elle a réalisés pour créer et renforcer son image de marque, s’appuyer sur les références de marché, utiliser une méthode basée sur la rentabilité prévisionnelle des marques[5].

Ces méthodes ne sont pas transposables à une personne physique, même s’agissant d’une personne physique célèbre telle qu’Aya Nakamura, qui bénéficie d’une notoriété aussi bien nationale qu’internationale.

Pour l’avocat qui doit chiffrer l’atteinte, il s’agit d’une somme généralement déterminée de manière forfaitaire, sans pour autant être fantaisiste, qui doit s’appuyer sur des éléments tangibles. Pour le juge, cela relève de son pouvoir souverain d’appréciation.

En l’occurrence, et contrairement aux souhaits du Professeur Maurice Nussenbaum[6], aucune analyse de la méthodologie employée pour déterminer le montant du préjudice généré par l’atteinte à l’image et à la réputation n’a été détaillée par le juge dans sa décision.

Ce n’est donc pas le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Paris le 15 janvier 2021 qui viendra apporter sa pierre à l’édifice d’une véritable jurisprudence de l’évaluation, ce qu’on ne peut que regretter.

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[1] V. par exemple Cass. Com., 10 févr. 2016, n° 13-24.399

[2] Cour d’appel de Paris, 20 mars 2014, n° 12/02256

[3] Cour d’appel de Paris, 8 sept. 2004, n° 04/09673

[4] Fiches d’orientation Dalloz, Responsabilité civile du fait personnel, Janvier 2021

[5] M. Thaya et P. Massot, « Mieux réparer les préjudices d’image et de réputation des entreprises » : article publié sur le site du cabinet Arenaire, News, 23 avr. 2020

[6] M. Nussembaum, « Pour une évaluation détaillée de l’évaluation des dommages économiques dans les décisions de justice », Lextenso, dossier Entreprise, 4 sept. 2017